La loyauté en politique
24/07/25 Moro

Il fut un temps, pas si lointain, où Recep Tayyip Erdogan et Bachar al Assad incarnaient une amitié politique presque fraternelle. Les deux hommes se fréquentaient étroitement, leurs épouses également. On les voyait ensemble, souriants, en vacances familiales sur les côtes turques, partageant repas, week ends, embrassades diplomatiques et sourires complices devant les caméras. Et pourtant…

En 2011, tout bascule. Le vent du “Printemps arabe” souffle sur la Syrie, et Erdogan, autrefois proche parmi les proches d’Assad, se joint à une opération coordonnée entre puissances occidentales et régionales pour renverser son ancien ami. L’histoire retiendra cela sous le nom d’opération Timber Sycamore, un programme clandestin piloté notamment par la CIA, soutenu par plusieurs États (arabes du Golfe, comme l’Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis ), qui transforma la révolte syrienne en un véritable champ de bataille géopolitique. Erdogan y participa activement, rompant définitivement avec Assad. On est passé des vacances familiales à la guerre par procuration. De l’intimité à la “trahison” géostratégique.

Ce n’est pas un cas isolé. L’histoire regorge de trahisons politiques aussi spectaculaires que brutales : Jules César poignardé par Brutus, son fils adoptif. Henri IV trahi par Ravaillac, nourri par le fanatisme. Robespierre, guillotiné par ceux là mêmes qui l’avaient applaudi. Même Barack Obama, adulé en 2008, tourna le dos à son pasteur et mentor, le révérend Jeremiah Wright, dès lors que son soutien devenait politiquement encombrant. Ainsi va le jeu du pouvoir. Comme le disait lord Acton : «Le pouvoir tend à corrompre, et le pouvoir absolu corrompt absolument.»

La politique est un théâtre où les alliances sont provisoires, les fidélités conditionnelles, les convictions parfois jetables. On y sacrifie amis, promesses, voire valeurs, sur l’autel du calcul stratégique. Ce n’est pas toujours le fruit de la méchanceté ou de la duplicité personnelle. C’est souvent l’effet mécanique d’un système où l’objectif prime sur la loyauté, où la fin justifie les moyens.

Et le Sénégal dans tout ça ?

Je n’insinue nullement que la situation sénégalaise actuelle est comparable à celle de la Syrie ou à d’autres tragédies géopolitiques. Mais il est légitime de réfléchir, d’anticiper, d’observer les signes.

Monsieur Ousmane Sonko, quoi qu’on pense de ses postures publiques ou de ses discours enflammés, demeure aujourd’hui l’homme que le peuple avait choisi. S’il avait pointé un garabu guy (baobab) et dit «votez pour lui», le baobab aurait été élu. C’est dire la force du lien populaire qu’il a su nouer.

C’est aussi lui qui a désigné Monsieur Bassirou Diomaye Faye pour lui succéder dans la course, alors qu’il en était empêché. On peut dire que c’était le Qadr, la prédestination, que ce soit finalement Monsieur Diomaye Faye qui devienne président, et non Monsieur Sonko, à ce moment précis de l’histoire. Mais tout est passé par Monsieur Sonko. Et cela, Monsieur Diomaye Faye doit s’en souvenir. Car ici, au Sénégal, ngor (la fidélité) est une valeur cardinale. Elle n’est pas simplement morale, elle est culturelle, profondément ancrée dans les consciences. Le peuple sénégalais y tient énormément.

Or, certains signes, certaines déclarations récentes, certains positionnements nous inquiètent. Des membres du camp présidentiel commencent à adopter un ton ambigu, voire désobligeant, à l’égard de Monsieur Sonko. Pire encore, des propos ont été tenus par Monsieur Bougar Diouf, ramenant le débat sur le terrain glissant de l’ethnicisme politique, une dérive aussi périlleuse qu’indigne. En vérité, si l’ethnie était le seul critère électoral, nul président du Sénégal n’aurait jamais été élu hors du groupe majoritaire. Mais fort heureusement, le peuple sénégalais pense autrement.

La “trahison” n’est pas une fatalité, mais elle est une tentation constante dans le monde politique. L’amnésie opportuniste est une maladie chronique du pouvoir. Pourtant, au Sénégal, le peuple a horreur de l’ingratitude. Si Monsieur Diomaye trahissait Monsieur Sonko, même ceux qui critiquent aujourd’hui Monsieur Sonko, parfois durement, ne le lui pardonneraient pas. Le peuple peut tolérer les erreurs, mais rarement la trahison.

Et cela vaut avertissement pour toute l’équipe au pouvoir, ce n’est pas seulement Sonko qu’ils risqueraient de trahir, mais un électorat conscient, éveillé, et prêt à juger. Car ce n’est pas un parti qui a été élu. C’est un espoir. Et l’espoir, lorsqu’il est trahi, se transforme souvent en colère.

L’histoire politique enseigne que la fidélité est rare, que le pouvoir isole, que les alliances s’effritent dès que les intérêts changent de direction. Mais elle enseigne aussi que les peuples n’oublient pas. En Afrique comme ailleurs, ceux qui montent sur le trône par grâce populaire doivent se souvenir qu’ils peuvent en être délogés par cette même grâce. C’est pourquoi il est sage de méditer cette maxime Wolof : (“bul fàtte li la wala ki la fal”, il ne faut jamais oublier celui qui t’a fait roi.

M. G. DIOP

Moro

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