Il serait historiquement inexact de parler de l’histoire de l’islam sans reconnaître l’apport décisif de la Perse dans sa formation doctrinale, juridique, théologique, philosophique et scientifique. Une grande partie des figures majeures de l’islam classique sont issues du monde culturel perse ou profondément influencées par celui-ci. Nombre d’entre elles étaient d’origine ethniquement perse ou provenaient de régions historiquement intégrées à la sphère civilisationnelle persane, telles que le Khorasan, le Sijistan ou la Transoxiane. Ainsi, l’Imam al-Bukhari, originaire de Boukhara (aujourd’hui en Ouzbékistan), appartenait pleinement à cette sphère. L’Imam Muslim venait de Nishapur, dans le Khorasan oriental. L’Imam al-Tirmidhi était natif de Tirmidh, région culturellement persane. L’Imam Abu Dawud provenait du Sijistan, aux confins de la Perse et de l’Afghanistan actuel. L’Imam al-Nasa’i était originaire de Nasa, dans la grande région du Khorasan persan. L’Imam Ibn Majah venait de Qazvin, en territoire perse. L’Imam al-Ghazali, l’un des plus illustres penseurs Sunnites, était natif de Tus, haut lieu de savoir dans la Perse médiévale. Le philosophe al-Farabi, bien que né à Farab (aujourd’hui au Kazakhstan), évoluait dans une sphère profondément imprégnée de culture persane. Fakhr al-Din al-Razi venait de Ray, près de l’actuelle Téhéran, cité phare de la Perse savante. Al-Khwarizmi, père de l’algèbre, était originaire de Khwarezm, tout comme le grand savant Abu Reyhan al-Biruni. Enfin, Ibn Sina (connu en Occident sous le nom d’Avicenne), né près de Boukhara, reste l’un des symboles les plus éclatants de la pensée médicale et philosophique issue du monde islamo-persan. Ces savants ont contribué de manière magistrale à la formation de l’orthodoxie Sunnite, à l’élaboration des sciences islamiques et à l’essor de la philosophie rationnelle. Leur héritage, profondément enraciné dans cette terre que les textes zoroastriens appelaient déjà Airyanem la « terre des Aryens », illustre le rôle central et fondateur de la Perse dans l’histoire de la civilisation islamique.
Le terme Iran dérive de ce même Airyanem. À l’époque sassanide, Ardashir I puis Shapur I parlent déjà d’Eran pour désigner l’ensemble de leur empire, unifiant Perses, Mèdes et Parthes sous une identité Iranienne inclusive, là où «persan» désigne un sous-groupe ethnolinguistique. Plus tard, Cyrus le Grand Persan de naissance et, par là même, pleinement Iranien au sens civilisationnel libère les Juifs de Babylone et autorise leur retour à Jérusalem : un geste que la tradition biblique consacre comme acte de justice. Ironie tragique : c’est aujourd’hui la terre de Cyrus que «Israël» bombarde malgré son rôle historique dans la sauvegarde des communautés Juives.
Il y a peu de pays qui me fascinent autant que certains lieux chargés d’histoire, de luttes et de dignité.
Je nourris depuis l’adolescence, le rêve de visiter Ispahan. La culture perse est l’une des plus raffinées et des plus anciennes. J’ai eu la chance d’interagir avec plusieurs Iraniens, et j’ai toujours remarqué chez eux cette même douceur, ce calme profond, une grande intelligence, une politesse sincère. Les Perses sont un peuple digne, courageux, plein de sagesse et de retenue.
Je ressens la même attirance pour d’autres pays : la Tanzanie, que je souhaite découvrir, en particulier Zanzibar, et l’Islande, fascinante merveille géologique.
Je n’ai jamais ressenti d’intérêt pour la France, malgré son immense production littéraire et la beauté incontestable de sa langue. Je respecte profondément la culture Française, mais je ne peux dissocier cette admiration du poids colonial que la France a fait peser sur mon peuple. Cette contradiction me laisse distante, indifférente face au pays, malgré tout ce qu’il représente culturellement.
l’Iran suscite en moi respect, admiration et tendresse. Je prie pour ce pays, je prie pour son peuple. Je prie pour sa résilience. Je prie pour que Dieu l’élève, lui accorde la victoire, et qu’à travers lui, Il venge les innocents, les humiliés, les sans-terre. L’Iran ne ploie pas devant l’intimidation, et rien que pour cela, il mérite le respect du monde. Un haut responsable palestinien avait déclaré que l’Iran était le seul pays au monde à prévoir, dans son budget national, une ligne consacrée à la libération de la Palestine. Cette seule affirmation illustre la profondeur de l’engagement Iranien envers les causes justes.
J’aime l’Iran. J’aime sa civilisation millénaire, sa poésie, son architecture, son raffinement, sa profondeur mystique. Et je l’aime parce qu’il demeure debout, là où tant d’autres se sont inclinés.
D’autres horizons m’interpellent moins. À l’exception de la Palestine que je souhaite voir libre et souveraine et du Yemen, loué par le Prophète Alayhi salatu wa salam pour la bravoure de son peuple, la plupart des pays arabes ne m’ont jamais tentée. Je ne dis pas cela par rejet ; je suis consciente des tensions raciales qui traversent certaines cultures arabes, et j’ai mes réserves. Mais je reconnais la générosité des Palestiniens, leur hospitalité sans égale, leur dignité dans la douleur. Les Yéménites, eux, m’inspirent par leur bravoure, leur fidélité aux principes.
Avant d’être majoritairement chiite, l’Iran fut sunnite durant neuf siècles. l’Iran est une nation debout face aux injonctions et à l’impunité des puissants.
J’ai foi en ce pays. Parce qu’il ne plie pas. Parce qu’il protège les siens. Parce qu’il refuse de se soumettre aux humiliations que subissent tant d’autres pays du Sud global. L’Iran n’envahit pas ses voisins, n’assassine pas de scientifiques sur d’autres continents. Et pourtant, c’est lui que l’on désigne comme menace ! À l’inverse, un État détenteur de l’arme nucléaire illégalement acquise frappe sans frein la région, sous le regard impassible des grandes puissances.
Un constat s’impose : l’ordre juridique né de 1945 agonise sous nos yeux. L’architecture censée universaliser la protection de la vie humaine, Charte des Nations unies, Conventions de Genève, Statut de Rome révèle aujourd’hui sa plasticité : puissante lorsqu’il s’agit de pourchasser des dirigeants du Sud, étonnamment poreuse dès qu’un État du pôle occidental bafoue ces mêmes normes. La fracture n’est pas théorique ; elle est vécue quotidiennement par les sociétés dont la «sécurité» se décide ailleurs, sans elles. Dans ce vide normatif, la quête d’un monde pluripolaire n’est plus une option géopolitique parmi d’autres : elle devient une nécessité anthropologique, la seule voie pour rééquilibrer l’échelle de l’humain. Cette asymétrie éclaire ce que Vijay Prashad nomme la «hiérarchie de l’humanité» : une géopolitique où certains peuples sont jugés pleinement humains et d’autres traités comme chair à canon. Nul racisme n’explique à lui seul l’état du monde, mais la dévalorisation systémique de certaines vies est indéniable. Deux années d’images de civils sous les décombres suffisent à épuiser la conscience planétaire ; un seul pays inflige cette terreur quasi quotidienne, et l’impunité avec laquelle il opère relève d’une forme de psychose impériale.
Je prie pour l’Iran. Je prie pour que ce pays soit préservé. Je prie pour que son peuple reste digne et fort, comme il l’a toujours été. Que la paix l’enveloppe, et que justice soit rendue un jour à tous les opprimés.
Je prie pour la paix, tout en sachant qu’elle exige justice. Je prie pour que l’Iran, terre de sagesse, ne ploie pas. Je prie pour que la Palestine, le Soudan, le Congo, le Mali, le Burkina, et le Yemen soient libérés de la souffrance. Je prie pour que le monde renonce enfin à hiérarchiser les morts. Rien ne fatigue autant l’esprit contemporain que la répétition du même scénario de violence unilatérale; rien ne redonnera plus d’espoir que l’émergence d’un ordre où aucune nation ne se voit accorder le droit de bombarder les autres en toute impunité. Que cette prière devienne un jour réalité.
M. G. DIOP